Le jeune homme attablé au pied de la scène à l'éclairage vulgaire ne se rappelle plus très bien s'il essaye de noyer son chagrin dans l'alcool ou dans la drogue, mais une chose est certaine : à ce stade, il ne risque pas de tomber plus bas, à tous les sens du terme. L’œil vitreux, la roulée qu'il fume contient des substances dont il ne se sent même plus capable de prononcer le nom, et l’absinthe transparente qui reste dans le fond de son verre a probablement été distillée à partir de cadavres de rats.

Depuis combien de temps s'est-il écroulé ici, lui qui a tout perdu sans aucun espoir de retour en arrière ?... Le simple fait qu'il soit encore capable de se poser la question lui fait tirer sur sa clope comme un damné, et il enfile cul sec le fond de son verre sans même se donner le temps de recracher la fumée. Il a la tête qui tourne et l'esprit embrumé, mais lorsque la musique de fond (click !) se fait soudain plus sonore et que l'éclairage change, il relève péniblement la tête pour mater la nana qui va se produire sur la scène.

Combien sont passées avant elle ?... Trois ?... Cinq ?... Dix ?... Impossible de s'en souvenir, et de toute façon, la beauté de la jeune femme qui vient de monter sur scène est telle qu'elle éclipse le souvenir de toutes celles avant elle. Déjà plutôt grande et élancée, les talons vertigineux qu'elle porte allongent sa silhouette de manière surréaliste, lui donnant des allures de déesse déchue. Enveloppée dans un trench coat noir et luisant, ses longues jambes gainées de fins bas noirs la mènent au devant de la scène au rythme de la musique, dans un déhanché qui a déjà fait se lever toutes les têtes, et ce alors même qu'elle est encore toute habillée.

Son visage de poupée porte les peintures de l'appel au péché - ses lèvres pulpeuses sont enduites d'un épais rouge luisant comme le vinyle de son manteau, et ses yeux fauves, couleur champagne ou topaze suivant l'éclairage, sont fardés d'un noir charbonneux, comme la suie enveloppant les braises de son regard. Ses cheveux décolorés sont rejetés en arrière et cascadent dans son dos jusqu'à ses hanches, et les pointes platines sculptent sa silhouette au contrejour des néons. Ses racines traduisent un blond plus sombre, et le contraste de l’éclairage les rend noires et fait ressortir son teint diaphane dépourvu de la moindre imperfection.

Si elle ne roulait pas sous leurs yeux ses hanches en une danse lascive à l'instant même, tous les clients du club auraient été tentés de la prendre pour une poupée de cire remarquablement bien sculptée, tant sa beauté était irréelle. Même les serveuses à moitié nues qui déambulaient dans la salle auraient dû éprouver au mieux la plus profonde exaspération de voir toute l'attention monopolisée sur la nouvelle venue, mais même les plus réticentes admiraient pourtant avec envie celle qui était incontestablement leur reine.

La blonde commença alors son show, et beaucoup de pantalons furent soudain trop petits pour leurs propriétaires - lentement, sensuellement, la jeune femme se mouvait au rythme de la musique et commença par faire glisser son manteau de ses épaules, révélant un ensemble de lingerie fine en dentelle noire, qui en suggérait déjà assez pour satisfaire tous les clients présents pour le show. Glissant un doigt provocateur sur ses lèvres entrouvertes, elle attrapa avec ses dents l'extrémité d'un des longs gants de satin noir qui couvrait ses bras, et le retira avec lenteur, dénudant ainsi un bras, puis l'autre, révélant des mains fines aux longs ongles cramoisis.

Le temps semblait avoir suspendu son cours, les hommes présents en oubliaient presque de respirer, suspendus à la scène alors que la jeune femme s'attaquait maintenant au laçage de son corset, sans jamais cesser de danser, manifestant une souplesse et un sens du rythme qui appelait à des activités plus primitives. Le corset retiré dévoila une poitrine dont le volume conséquent ne devait sans doute plus grand chose à la nature, à peine contenue par un soutient-gorge de dentelle noire transparente, ainsi que l'océan de chair pâle tendue sur un ventre plat et musclé, à la taille fine et marquée. Le porte-jarretelle fut l'heureux élu suivant - glissant au sol dans un grand écart parfait, la blonde exhiba ses kilomètres de jambe fuselée, glissant ses doigts sous la dentelle fine pour faire rouler les bas le long de ses jambes interminables, l'une après l'autre, à grand renfort de figures acrobatiques frisant la contorsion, mais offrant surtout des vues imprenables sur les chairs les plus désirables de son anatomie.

Lorsqu'enfin elle se releva, elle se détourna pudiquement pour attaquer l'attache de son soutient-gorge, ce qui souleva une vague de désapprobation parmi le public. Un sourire félin aux lèvres, elle retira finalement le vêtement mais laissa sa longue chevelure dissimuler l'essentiel de ses charmes, telle la Vénus tout juste sortie de l'onde - ou presque. Alors qu'elle touchait au but, le choc initial se dissipa dans la foule et les encouragement plurent sur la belle alors que la lumière se tamisait - désormais au contrejour total de l'éclairage qui irradiait dans son dos, elle laissa glisser avec une lenteur douloureuse le tanga de dentelle qui constituait son ultime rempart contre la nudité absolue, et soudain, il ne resta sur scène que l'étendue de sa peau de nacre et le doux satin de sa chevelure décolorée pour tout vêtement.

Dans la salle, l'ovation fut telle qu'elle se répercuta sans doute jusqu'au Plateau d'Argent - les yeux modestement baissés, ses longs cils noirs effleurant ses joues légèrement rosies, la belle blonde adressa un dernier sourire énigmatique au public, avant de se détourner pour disparaitre dans l'obscurité des coulisses. Bien qu'un rappel bruyant fut exigé par le public, la jeune femme ne revint pas sur scène - mais elle avait laissé dans la mémoire de ses spectateurs une marque au fer rouge, le souvenir impérissable de la perfection de ses courbes.